Interview between the chefs Raphaël Hautmont and Kei Kobayashi

Dans le cadre de la promotion des attraits de Nagano en France par le prisme de sa gastronomie, le chef physiochimiste Raphaël Hautmont ainsi que le chef et propriétaire du Restaurant K E I, Kei Kobayashi (originaire de Suwa à Nagano) se sont rencontrés pour la première fois pour un entretien.
Ce dernier s’est effectué le 8 février 2024, dans le Restaurant K E I au cœur de Paris, près du Musée du Louvre et du quartier de Palais Royal.
M.Hautmont a pu parcourir tout Nagano en automne dernier et toucher de ses mains les produits locaux, tout en étudiant l’histoire et les paysages de la région. Il a ainsi débuté la conversation sur “les attraits de la région, l’accueil de ses habitants et ses produits régionaux, qui sont propres à la nature vallonnée du département de Nagano » qu’il a pu ressentir sur place. M.Kobayashi a rebondi sur ce sujet en parlant du miso que fabriquait sa famille.
*Kei Kobayashi=K 、Raphaël Hautmont=R
K:“Quand on parle de miso, même aujourd’hui il est difficile d’en fabriquer chez soi, mais mes grands-parents en faisaient. Dans le département de Nagano, autrefois, les foyers fabriquaient même des tsukemono (condiments de légumes japonais) en plus du miso. Chaque miso avait un goût différent, changeant de famille en famille, puisque dans chaque maison il y a des bactéries différentes. De la même façon, chaque habitant de la maison a ses propres bactéries. À Nagano, où je suis né et j’ai grandi, j’ai la sensation que les bons produits étaient à portée de main.”
R:“C’est très intéressant. D’autant plus que ce qui rend la cuisine est intéressante, c’est quand on combine le goût de ses ingrédients. Par exemple, dans votre plat de pigeon laqué au miso, l’umami du miso reste longtemps en bouche. C’est le résultat de la combinaison entre la sauce au miso et l’umami du pigeon qui permet de la faire ressortir davantage. Si on parle de miso, en France on ne pense qu’à la soupe du même nom, mais le miso peut être utilisé de bien d’autres façons.”
– Au moment de la réception de Nagano donnée le 3 novembre dernier, vous aviez proposé, M.Hautmont, un plat à partir de miso de Nagano, que vous aviez pu analyser.
R:“En effet. À partir du résultat de mes recherches, j’ai trouvé intéressant de mélanger le miso et les coquilles Saint-Jacques. J’y ai découvert que le miso a des points communs avec le café, il se caramélise et se torréfie de la même façon. Je me suis donc dit que ce serait une bonne idée d’associer à ce parfum de miso caramélisé la richesse du parfum du café. De même pour les huîtres, en France on a tendance à les assaisonner avec des échalotes et du vinaigre pour en retirer le goût d’iode, mais quand on l’associe à de la sauce saté ou des litchis, on obtient un agréable parfum floral et un goût surprenant. J’avais proposé par exemple, de faire d’un cocktail au litchi à base de saké un sorbet, en y ajoutant du jus d’huîtres pour en réhausser le goût. J’ai aussi mis du miso blanc dans ma crème anglaise. En fait, une glace au miso blanc a la même composition moléculaire qu’une tarte tatin et le même goût que du caramel beurre salé. Ces résultats ont mené à une approche intéressante entre cuisine et chimie.”
K:“Je vois. Il est donc possible d’avoir cette approche moléculaire pour tous types de plats. Même si l’on prend un seul plat : le pot au feu mettons. Il y a une logique scientifique derrière chaque décision : combien de grammes on ajoute, en combien de fois ? Combien de temps de cuisson ?”
R:“Exactement. On a tendance à penser que les chefs étoilés prennent ce genre de décision en un instant, mais c’est une erreur. Le chef a toujours un rôle crucial à jouer. Ne serait-ce que pour les sauces, il faut qu’elles aient toujours le même goût, la même couleur, la même odeur, le résultat n’a rien d’une coïncidence. Dans la cuisine moléculaire, on peut comprendre les règles et techniques sur lesquelles on se base en cuisinant. Cela permet aussi de faire naître une cuisine originale qui n’existe nulle part ailleurs. Par exemple, avec la cuisine moléculaire, on peut comprendre que la température idéale pour faire un onsen tamago (oeuf mollet japonais) est de 62°C. Pour faire du miso ou du pain il y a une façon de faire dictée par la science mais c’est ensuite le rôle des chefs d’en faire leurs propres créations.”
K:”Comme vous le dites, il faut chaque jour proposer des plats du même haut niveau. Vous en tant que scientifique, moi en tant que cuisinier et pâtissier, nous devons manger tous les jours pour en apprendre plus sur les goûts. Ces dégustations sont indispensables. On dit que les chefs expérimentent tous les jours. Nous recevons chaque matin de nouveaux ingrédients, et même si nous recevons les mêmes que la veille, cela n’empêche pas qu’ils changent tous les jours. Il faut donc les tester, vérifier la qualité de leur goût, et trouver ce avec quoi ils peuvent s’accompagner. Même s’il est simple de réfléchir à des combinaisons intéressantes, il est plus compliqué de trouver un résultat qui soit toujours bon. Nous devons faire en sorte que les clients soient satisfaits. Ce que nous pouvons faire “d’intéressant” c’est créer des assemblages. En associant les températures et les textures, c’est là que l’on peut faire des assemblages qui permettent de créer des plats intéressants. Mais malgré tout, faire des plats que les clients trouvent délicieux reste complexe et il n’y a qu’en dégustant les plats que l’on peut y parvenir.”
R:”Lorsque vous incorporez des ingrédients japonais dans la cuisine française, comment décidez-vous du goût de vos plats ?”
K:”Je ne pense pas chercher des ingrédients japonais consciemment. Pour la sauce de mon plat de pigeon par exemple, combiner du miso à de la pomme ajoute un peu de sucrosité. Lorsque l’on cherche à associer les goûts, on se remémore ce que que nous avons déjà goûté dans le passé. Pour ce plat, cela vient de mon enfance à Nagano, où je mangeais des Gohei Mochi saupoudrés de sésames, avec une sauce miso dont la texture m’a profondément marqué.”
R:”Se souvenir des textures que l’on a goûtées…Très intéressant ! Dans la cuisine moléculaire, on peut aussi étudier les textures d’un point de vue scientifique. Avec cette expérience à Nagano, j’ai eu la surprise de découvrir que la gastronomie japonaise avait plus de variétés de textures, couleurs et parfums que la française. Les textures en particulier m’ont marqué. Cependant il semblerait que les français n’apprécient pas vraiment les textures moelleuses et élastiques qui plaisent tant au Japon. Qu’en pensez-vous ?”
K:”Cela fait 25 ans que je vis à Paris, mais ces 10 dernières années, la ville a légèrement changé. Les udon et ramen qui ont cette texture sont de plus en plus à la mode. Même pour le saké, autrefois les Français pensaient à tort que c’était un alcool fort mais aujourd’hui ils peuvent en déguster pendant leurs repas.”
– Comment pensez-vous que les ingrédients de Nagano pourront se développer en France à l’avenir ?
K:”Je pense que l’agar-agar serait vraiment facile à utiliser. On pourrait également utiliser du miso, par exemple en remplacement du fromage. La cuisine française utilise souvent du fromage et du vin, il suffit de le remplacer par d’autres produits fermentés. Le koji blanc de Nagano, qui sert de base pour le miso, serait très facilement utilisable, il rend vraiment la viande plus tendre. »
R:”Je pense la même chose. Le miso est vraiment bien, ce produit fermenté rend la viande plus tendre, et peut être très bon en marinade. Le miso comme le koji blanc peuvent être utilisés de nombreuses façons”
-M.Kobayashi, vous êtes originaires de Suwa à Nagano et M.Hautmont vous avez visité toutes les zones de Nagano en automne dernier. En tant que Français, qu’avez-vous pensé du département de Nagano ?
R:”Malheureusement, les français ne connaissent pas encore bien le département de Nagano. Ceux qui en ont entendu parler se rappellent seulement que des JO d’hiver s’y sont déroulés. En m’y rendant j’ai pu découvrir de nombreuses choses : de splendides paysages, des montagnes, un climat spécifique et un terroir riche. Ce qui m’a marqué c’est la culture du département, sa cuisine, et la présence d’agar-agar. Des petits villages de campagne aux grandes villes, il y a beaucoup de diversité. Mais les qualités de Nagano ne s’arrêtent pas là : il y a énormément de savoirs-faire et d’artisanat traditionnels comme pour les baguettes en bois, la laque, mais aussi une richesse d’ingrédients qui permettent de faire du miso, du wasabi, du saké et du vin. Il est vraiment dommage que les touristes ne sachent pas qu’il y a tant de choses à découvrir à seulement une heure de Shinkansen de Tokyo.”
K:”Quand je pense à Nagano, je pense à la richesse de la nature et de sa campagne. L’eau qui s’y trouve est limpide. Elle peut être utilisée pour faire des alcools, du riz et du wasabi. Ce dernier en particulier a besoin d’une eau très pure, et la qualité de l’eau de Nagano rend possible de le cultiver. Je pense qu’il faut parler du fait qu’il y a des choses qu’on ne voit pas à Tokyo ou Kyoto où les touristes sont nombreux. De plus, les villes n’ont presque pas changé. À la campagne où l’air est plus pur, il y a de très vieux bâtiments. Quand j’étais enfant, il y avait beaucoup plus de bâtiments anciens comme ceux de Narai Juku, mais ils ont été détruits. Nagano a de riches forêts, des montagnes, les paysages y sont magnifiques. Cependant, si les étrangers continuent à acheter de plus en plus de terrains, comme à Hakuba, les attraits de Nagano vont commencer à s’estomper. Il faut que nous les protégions.”
R:”Comme les français aiment beaucoup la nature, je pense que le département de Nagano est très attractif pour eux. Sans brusquer le développement touristique, il est important de trouver un équilibre qui permette de protéger la culture locale et son environnement.”
K:”Par ailleurs, en parlant des aliments qui poussent à Nagano, il y a également la possibilité de créer de nouveaux alcools. C’est le deuxième département producteur de pommes au Japon, il serait possible d’y fabriquer du cidre ou du calva. Il y a encore plein d’opportunités pour le département de se développer.
R:”Oui, il est vrai que les variations du climat rendent propices l’agriculture. Ne serait-ce que pour la culture d’agar-agar, il est produit naturellement par séchage dans les montagnes, c’est donc un ingrédient respectueux de l’environnement d’un point de vue écologique. Il rentre dans les tendances actuelles de protection de l’environnement. Même si je pense que ce type de savoir-faire traverse les époques et n’est pas une question de mode.“
On dit que le meilleur chemin pour apprendre une nouvelle culture est par sa nourriture. Ce dialogue a donné un aperçu de l’avenir, où Nagano, qui veut parfaire les attraits de ses régions, pourra toucher les français par ce biais.

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